« On sait très bien que la plupart des hommes d’affaires présents sur cette carto sont de droite, voire d’extrême droite », glisse Matthieu Barreira. Le chercheur est à l’origine d’une cartographie des plus grands opérateurs privés dans le secteur de la musique en France, captés par dix grandes fortunes. Réalisée à l’initiative du Syndicat des musiques actuelles (SMA), elle est publiée en exclusivité par StreetPress ce 19 mai. L’occasion de se pencher sur trois d’entre eux, engagés à la droite de la droite : le Français Vincent Bolloré et les Américains Philip Anschutz et John C. Malone.

Une poignée de grandes fortunes mettent la main sur la musique et les festivals. Le syndicat des musiques actuelles (SMA) publie une cartographie pour alerter sur la concentration en cours en France. /
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On ne présente plus le premier, boss d’Universal Music Group, la première maison de disques mondiale. Le milliardaire breton de 73 ans a fait fortune en reprenant l’entreprise de papeterie paternelle et dans la logistique, notamment en Afrique. Son groupe Vivendi est aussi la maison mère d’Havas, l’une des plus grosses agences de publicité et de communication du monde. Depuis 2016, Vincent Bolloré s’est imposé dans les médias en rachetant Canal+ et i-Télé, renommée CNews. La chaîne d’info en continu est devenue une machine de propagande d’extrême droite qui a contribué à promouvoir son ex-vedette, l’éditorialiste identitaire Eric Zemmour, comme candidat à l’élection présidentielle de 2022. Il est à la tête de plus en plus de médias qui polarisent le débat public, du Journal du Dimanche à Europe 1, et de maisons d’édition, dont Fayard. L’homme d’affaires – qui a personnellement œuvré au rapprochement entre le Rassemblement national et l’ex-baron de la droite Eric Ciotti lors des dernières élections législatives – voit son empire médiatique porter l’extrême droite aux portes du pouvoir.
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Le volet musical de son portefeuille comprend des salles de concerts comme L’Olympia à Paris et plus de 50 labels de musique qui gèrent des noms tels que Booba, Kendji Girac ou Juliette Armanet. Adepte de la « synergie » entre les différentes branches du groupe, Vivendi peut faire rayonner ses artistes sur les chaînes du groupe Canal+ et les nombreux autres médias Bolloré, en utilisant l’expertise d’Havas.
Anti-avortement et anti-impôts
Sans doute cet héritier français se trouverait-il des accointances idéologiques avec son homologue américain Philip Anschutz, si les deux hommes étaient amenés à prendre un café après avoir discuté du contrat d’Ed Sheeran ou d’Ariana Grande. Proprio à moitié avec la mairie à Paris de la salle de concert de Bercy (Accor Arena) depuis 2019 et du Bataclan depuis 2022, le « très conservateur patron du très progressiste festival Coachella », comme le décrivait Le Monde en 2022, a construit son empire dans le pétrole. Il détient également 50 % du festival parisien Rock en Seine et produit les concerts de dizaines d’artistes dont les Français Yseult, Polo & Pan ou Cerrone.
Pendant son temps libre, l’Américain Philip Anschutz, 85 ans, finance des organisations qui lui tiennent à cœur : contre les droits LGBTQIA+, contre l’avortement, contre la lutte pour l’environnement et pour le port d’armes à feu. À partir de 2016, la médiatisation de ses engagements conservateurs dans la presse américaine a entraîné des appels au boycott de son festival californien Coachella. Il faut dire que la 125ème fortune mondiale, selon Forbes, est un soutien historique du président américain Donald Trump. En 2020, il a financé sa campagne électorale à hauteur de 400.000 dollars.
C’est toujours moins que le libertarien convaincu John C. Malone, à la tête de Live Nation, qui a sorti de sa poche 500.000 dollars pour soutenir la dernière campagne trumpienne. Surnommé le « cowboy du câble » ou « Dark Vador », le milliardaire a fait son beurre dans les télécommunications avant de devenir le plus grand propriétaire foncier des Etats-Unis et d’acquérir la Formule 1. Ancien membre du conseil d’administration du géant du divertissement Warner Bros Discovery, il en est désormais président émérite. Petit bonus : son talent pour ne pas payer de taxes sur ses deals forcerait l’admiration d’un patron de SFR, Patrick Drahi.
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Si ces trois milliardaires d’extrême droite n’ont pour l’instant pas d’intérêt économique à s’imposer politiquement au sein de leurs entreprises culturelles, leur mainmise sur le secteur de la musique en France pose forcément question. Après les attentats du 11 septembre 2001 à New York, le groupe de John C. Malone avait été accusé de censure en refusant de diffuser des chansons potentiellement critiques de George Bush, jusqu’à « Imagine » de John Lennon…
Illustration de Une de Caroline Varon.
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