En ce moment

    26/05/2025

    « Quelques minutes avant sa mort, il a demandé aux policiers s’il pouvait appeler sa maman »

    Le combat de la famille de Souheil, tué par la police lors d’un refus d’obtempérer à Marseille

    Par Léna Rosada , Gaëlle Matata

    Le 4 août 2021, Souheil El Khalfaoui est abattu lors d’un contrôle routier à Marseille. Quatre ans après, le combat pour la vérité mené par sa famille est devenu une lutte collective pour l’abolition d’un article de loi sur les refus d’obtempérer.

    « Je peux vraiment l’imaginer, là, au volant. Et sur le trottoir, quand ils essayaient de le réanimer », chuchote Fouzia Mosli, dans un filet de voix, avant de s’écrouler en larmes. Elle s’assoit sur le trottoir devant l’agence de la Caisse d’épargne à l’angle de la rue Bonnardel, dans le quartier de la Belle de Mai à Marseille (13), où son fils Souheil El Khalfaoui a été tué le 4 août 2021, lors d’un contrôle routier.

    La famille de Souheil et quelques militants se sont réunis sur les lieux pour apposer un collage sur la façade de l’agence bancaire, qui montre un corps au sol. « Ça représente notre douleur, la douleur des familles. Ce vide immense quand quelqu’un est tué », tente d’expliquer Samia El Khalfaoui, la tante de Souheil. À côté, une affiche annonce « L-435-1 m’a tué ». Le lendemain, vendredi 25 avril, ils organisent un rassemblement sur le Vieux-Port, en hommage aux victimes des tirs policiers encadrés par cet article du code de la sécurité intérieure. « Mon fils, Souheil, aurait eu 23 ans demain. C’est notre manière de l’honorer », glisse Issam El Khalfaoui, les traits tirés par les longues journées de préparation. Face à l’agence, un graffiti anonyme réclame « Vérité pour Souheil ».

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/gmatata_20250425gmatata-25-04-25_gae1819-souheil.jpg

    Le 4 août 2021, Souheil El Khalfaoui est abattu lors d’un contrôle routier à Marseille. / Crédits : Gaëlle Matata

    Tué lors d’un contrôle

    Cette fin d’après-midi d’août, il y a bientôt quatre ans, Souheil El Khalfaoui rend visite à un ami quand une équipe de trois policiers arrête son véhicule sur les coups de 18 heures. « C’était à peine un adulte. Quelques minutes avant sa mort, il a demandé aux policiers s’il pouvait appeler sa maman », se remémore son père Issam El Khalfaoui, les yeux voilés par la peine. Souheil a tout juste 19 ans. Il est au volant de sa première voiture, offerte par sa famille une dizaine de jours plus tôt. Il roule sans assurance – et sans permis, mais ça, les agents ne le savent pas encore. Si les fonctionnaires contrôlent Souheil, c’est parce qu’ils reconnaissent son véhicule : il a été contrôlé la veille dans le même quartier, et a commis un refus d’obtempérer. Ce jour-là, alors qu’il entame une marche arrière où il braque pour se soustraire à ce nouveau contrôle, il heurte la jambe d’un des policiers avec l’avant de son véhicule. Un policier stagiaire – Romain D. – ouvre le feu à bout portant. Souheil meurt des suites de cette balle au thorax, à quelques centimètres du cœur (1). Les policiers invoquent la légitime défense, la manœuvre de Souheil mettaient selon eux en danger un des fonctionnaires, situé à l’arrière. « Personne ne nie que mon fils n’aurait pas dû chercher à se soustraire aux contrôles. Mais il n’aurait pas dû être tué car il ne mettait personne en danger en reculant », continue Issam El Khalfaoui, qui tente depuis d’établir, sans relâche, s’il est question dans cette histoire de la « légitime défense » qu’invoquent les policiers.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/cimetiere_l435_avec_fouzia_mosli_la_mere_de_souheil.jpg

    Quatre ans après la mort de Souheil, le combat pour la vérité mené par sa famille est devenu une lutte collective pour l’abolition d’un article de loi sur les refus d’obtempérer. / Crédits : Gaëlle Matata

    Combat pour la vérité

    De ce mercredi soir funeste, Samia El Khalfaoui a gardé la sensation d’une incohérence. « À la télévision, quelques heures après sa mort, j’entendais déjà tout un vocabulaire : individu, forcené… Je sentais qu’il y avait un problème dans la narration, je ne reconnaissais pas mon neveu », raconte celle pour qui Souheil restera « ce jeune papa, qui adorait ses neveux et son fils, avec le look et la coupe des Marseillais ». Issam El Khalfaoui ajoute :

    « Pendant trois jours, on a cru que mon fils avait tenté de tuer un policier. C’est ce que le major de nuit nous a dit, alors qu’on allait d’hôpital en hôpital à la recherche de son corps. »

    C’est en se rendant sur place, dans ce quartier populaire où ils n’ont jamais habité, qu’Issam et Samia commencent à douter. Lors d’une marche blanche organisée par un comité de quartier, ils rencontrent des témoins directs du contrôle. Leurs récits s’ajoutent aux vidéos qui circulent sur Internet, et dessinent une version différente de la soirée. « Les policiers prétendent que mon fils a renversé et traîné l’agent sur plusieurs mètres. Mais des témoins disent qu’il était debout, qu’il s’était dégagé de la trajectoire du véhicule », continue Issam. Dans son téléphone, il a encore la vidéo tournée par un particulier où l’on voit son fils agoniser pendant de longues minutes, assis au volant, alors que les fonctionnaires interpellent l’autre jeune assis sur le siège passager.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/gmatata_20250425gmatata-25-04-25_gae1679-souheil.jpg

    « Quelques minutes avant sa mort, il a demandé aux policiers s’il pouvait appeler sa maman. » / Crédits : Gaëlle Matata

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/gmatata_20250425gmatata-25-04-25_gae2038-souheil.jpg

    « La peine et la détresse, on les met dans le combat collectif. » / Crédits : Gaëlle Matata

    Vidéos disparues

    Au lendemain de la mort de Souheil, une première enquête pour homicide volontaire est menée par l’Inspection générale de la police nationale – l’IGPN, la police des polices – sous l’autorité du parquet de Marseille. Elle est classée sans suite en décembre 2022. C’est seulement à ce moment-là que la famille a accès au dossier. Ce qu’elle découvre la glace. « C’était une suite d’incohérences. Mais surtout, la moitié des vidéos de la Caisse d’épargne, qui ont filmé toute la scène, ont été perdues alors qu’elles avaient été placées sous scellés », explique Issam. Le policier qui a tiré n’a pas été placé en garde à vue, mais auditionné libre, deux jours après les faits, et après tous ses collègues. « Toute l’enquête de l’IGPN s’était concentrée sur [son refus d’obtempérer] la veille, et pas sur ce qui s’est passé le soir de sa mort. Ils avaient la volonté de montrer que Souheil était dangereux », ajoute Issam. Arié Alimi, l’avocat de la famille, spécialiste des dossiers de violences policières abonde :

    « C’est l’un des dossiers où j’ai vu le plus de malversations : des pièces perdues, d’autres non-exploitées, une enquête de voisinage incomplète, un certain nombre de témoins qui n’avaient même pas été entendus. »

    La famille se constitue partie civile et obtient une réouverture du dossier et la nomination d’un juge d’instruction courant 2022. Elle porte également plainte contre l’IGPN, pour « obstruction à la manifestation de la vérité ». Une autre plainte vise les procès-verbaux du soir du tir, pour « faux en écriture publique par personne dépositaire de l’autorité publique ».

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/gmatata_20250425gmatata-25-04-25_gae1847-souheil.jpg

    La famille de Souheil s'est constituée partie civile et a obtenu une réouverture du dossier et la nomination d’un juge d’instruction en 2022. / Crédits : Gaëlle Matata

    Si l’enquête sur sa mort est toujours en cours, les proches de Souheil eux, n’ont eu de cesse de mener leur propre enquête et de médiatiser cette histoire. « Tout est fait pour qu’il n’y ait pas de respect ni d’empathie pour les victimes et leurs familles. Il faut être solide pour tenir », souligne Samia El Khalfaoui. Elle raconte ensuite l’effroi, quand elle a reconnu le visage du policier tireur lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris l’été dernier, en train de faire des figures de BMX :

    « C’était un coup de poignard. Jusqu’à preuve du contraire Souheil est victime de ce policier. Comment un homme qui a tué peut-il être mis à l’honneur dans une compétition internationale ? »

    « La peine et la détresse, on les met dans le combat collectif. Pour l’ensemble des familles de victimes de policiers, les mêmes mécanismes se répètent : des vidéos qui disparaissent, des mensonges. Il faut que cette machine infernale s’arrête », ajoute Issam. Pour tenter de l’enrayer, les proches de Souheil multiplient les actions artistiques, les rassemblements et l’information sur les crimes policiers, auprès de l’association Stop aux violences d’État qu’ils ont créée en 2023. À la rentrée dernière, une nouvelle juge d’instruction a été nommée dans l’enquête sur la mort de leur fils. Des actes que la famille réclame depuis longtemps, comme la réalisation de plusieurs expertises balistiques et d’analyse des vidéos, pourraient enfin faire avancer le dossier. Le policier, Romain D., est sous le statut de témoin assisté. « Les dernières progressions laissent espérer une mise en examen du policier tireur », commente Arié Alimi, leur avocat. Mais pour les proches de Souheil, le combat ne se résume plus à cette procédure.

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/fatima_chouviat_et_arie_alimi.jpg

    Arié Alimi, l’avocat de la famille, et Fatima Chouviat, la mère de Cédric Chouviat, mort lui aussi lors d’un contrôle de police, des suites d’une clé d’étranglement et d’un plaquage ventral en 2020. / Crédits : Gaëlle Matata

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/gmatata_20250425gmatata-25-04-25_gae1864-souheil.jpg

    Le policier, Romain D., est sous le statut de témoin assisté. Contacté via son avocat, il n’a pas répondu aux sollicitations de StreetPress. / Crédits : Gaëlle Matata

    Pour l’abolition de la L-435-1

    Ce 25 avril, sur le Vieux Port, ils ont construit un cimetière. Trente-cinq tombes, sur lesquelles s’égrènent des noms de personnes tuées par des tirs policiers dans le cadre de refus d’obtempérer, depuis que la loi a changé en 2017. « Pour que leurs noms ne soient pas oubliés. 35, c’est juste un chiffre. Mais voir chacune de ces tombes, ça montre à quel point c’est un engrenage meurtrier », explique Samia. Ils ont également érigé un mur de la honte, qui recense d’autres histoires de violences commises par des policiers, comme celle de Cédric Chouviat, mort lui aussi lors d’un contrôle de police, des suites d’une clé d’étranglement et d’un plaquage ventral en 2020. Sa mère, Fatima Chouviat, chuchote :

    « Je suis venue pour soutenir la famille de Souheil, on sait à quel point les anniversaires peuvent être difficiles. »

    Alors que Fouzia Mosli, la mère de Souheil et son fils désormais âgé de cinq ans se recueillent près de la stèle qui porte son nom, Samia continue de distribuer inlassablement des tracts où l’on voit une statue représentant la justice, les yeux barrés de sang. « Il faut lire la loi, car c’est aussi à cause de cette loi qu’ils ont été tués », glisse-t-elle aux passants, en désignant les tombes. Samia et Issam El Khalfaoui ont décidé de faire de l’abrogation ou de la révision de l’article 435-1 du code de sécurité intérieur – que certains militants ou groupes politiques comme la France insoumise. surnomment « le permis de tuer » – leur combat. Depuis son adoption, le nombre de tirs mortels de policiers sur les occupants de véhicules en mouvement a été multiplié par cinq, selon une étude.. Rien que sur l’année 2022, quinze personnes ont perdu la vie dans ces circonstances. C’est dans le même cadre légal que Nahel Merzouk a été tué lors d’un refus d’obtempérer à Nanterre, le 27 juin 2023. Devant la foule, Issam tranche au micro :

    « C’est un peu Minority Report. On abat des gens pour ce qu’ils pourraient faire. »

    https://backend.streetpress.com/sites/default/files/gmatata_20250425gmatata-25-04-25_gae1792-souheil.jpg

    Samia et Issam El Khalfaoui ont décidé de faire de l’abrogation ou de la révision de l’article 435-1 du code de sécurité intérieur leur combat. / Crédits : Gaëlle Matata

    (1) Contacté via son avocat Laurent-Franck Liénard, le policier Romain D. n’a pas répondu aux sollicitations de StreetPress.

    NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
    ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER

    OSZAR »